Jean-Yves Le Naour se confie :
"Après 1945, la spécificité de la Shoah n'a pas été comprise."
Le scénariste de l'excellente collection "Les Justes", éditée chez Grand Angle, revient sur les raisons qui l'ont poussé à écrire sur ceux que l'on a tendance à oublier. Dans une interview réalisée pour le BambooMag, Jean-Yves Le Naour nous rappelle à quel point ces BD, disponibles le 27 août 2025, sont indispensables.

Jean-Yves, après les Compagnons de la Libération, Grand Angle consacre une série aux "Justes parmi les nations". Le devoir de mémoire est-il encore plus important aujourd'hui qu'hier ?
Sans aucun doute ! La guerre est aux portes de l'Europe, l'antisémitisme flambe à nouveau, l'extrême droite l'a emporté aux USA et progresse sur le Vieux Continent, le contexte est donc particulièrement inquiétant. L'histoire des Justes nous rappelle une chose : il y a toujours des résistants, des gens qui disent non et considèrent que la désobéissance est nécessaire quand les lois ne sont pas justes, a fortiori quand elles sont criminelles. Ces histoires sont donc exemplaires.
Mis à part Oskar Schindler, les "Justes" ne sont pas forcément très connus du grand public. Pourquoi ?
Après 1945, la spécificité de la Shoah n'a pas été comprise. Quand on parlait des déportés, il s'agissait des résistants, des déportés politiques. Les Juifs étaient des victimes parmi d'autres. Quand on a réalisé ce qu'étaient les camps de la mort, les Justes ont commencé à être honorés. Ce n'est qu'en 1963 que ce statut est créé par Yad Vashem, mémorial israélien situé à Jérusalem, construit en mémoire des victimes juives de la Shoa.
Qui seront les prochains Justes à être honorés par la série ?
Le prochain sera Varian Fry, envoyé par les USA en 1940 à Marseille pour organiser la fuite des artistes et antinazis réfugiés et bloqués dans la cité phocéènne. Il va sauver entre 2 000 et 3 000 personnes parmi lesquelles Hannah Arendt, Marc Chagall, Max Ernst, Marcel Duchamp, Stéphane Hessel, Max Ophüls, André Breton...

Oskar Schindler était un personnage fascinant, séduisant, drôle et élégant. Mais derrière l’homme d’affaires charismatique, bon vivant et nazi par opportunisme, il y avait aussi Emilie, épouse trompée et éternellement dans l’ombre, qui joua un grand rôle dans la destinée de son mari. Quand celui-ci découvrit les persécutions dont étaient victimes les Juifs employés à bon marché dans son entreprise et envoyés en convois vers Auschwitz, il changea complètement d’attitude et fit tout pour les sauver, avec l’aide indéfectible d’Emilie.
Simple vice-consul de Suisse à Budapest, Carl Lutz fut, par son courage et ses initiatives, le sauveur des Juifs de Hongrie. Faux papiers, perturbations d’exécutions, immunité diplomatique… il s’opposa par tous les moyens au SS Adolph Eichmann et aux autorités hongroises collaborationnistes, réussissant à sauver entre 20 et 25000 personnes. Celui qui affirmait que «les lois de l’humanité sont supérieures aux lois des hommes » fut pourtant oublié et désavoué par son pays d’origine après la guerre…
